Dix ans seulement séparent le quatuor à cordes de Claude Debussy de celui d’Albéric Magnard. Pourtant, leurs esthétiques sont si éloignées qu’on n’imagine pas les deux œuvres représenter la même époque et, encore moins, le même pays. Créé en 1893, le quatuor de Debussy relève à la fois de la synthèse nationale et de la proclamation d’indépendance. Tout aussi janusien, celui de Magnard (1902-1903) s’oriente clairement vers la référence germanique, récente (la postromantique Nuit transfigurée écrite par Arnold Schönberg quatre ans auparavant, en 1899) ou ancienne (citation de la 9e Symphonie de Beethoven), et tire sa force dramatique d’une lutte récurrente entre rigueur de l’expression et tentation de l’abandon. Souvent investi dans la création contemporaine, le quatuor Béla présente ces pages fiévreuses comme s’il s’agissait de « premières auditions ». Si la sensation de découverte peut se justifier dans le cas de la partition de Magnard (toutefois enregistrée en 2004 par les Ysaÿe pour le label Aeon), elle ne saurait se produire avec celle de Debussy, fleuron du répertoire. Tempi étourdissants, phrasés personnalisés, cohésion organique, tout invite cependant à parler d’une interprétation aussi neuve que fidèle. Donc idéalement debussyste.
Pierre Gervasoni
1 CD Le Palais des dégustateurs/UnaVoltaMusic.