Magnard – Quatuor Béla

CHRONIQUE Musique

La Nef 36 n°329 Octobre 2020
Magnard
par Hervé Pennven

Les enregistrements de l’unique Quatuor d’Albéric Magnard ne sont pas assez fréquents pour qu’on puisse en bouder un nouveau, si du moins la qualité est au rendez-vous. Et c’est le cas avec le Quatuor Béla. On sait que Magnard, réagissant à tout ce qui était musique à programme et à tout ce qui pouvait être anecdotique ou même simplement au goût du jour, était le chantre d’une « musique pure ». Et c’est un aboutissement de cette recherche assurément que ce quatuor, à l’écriture quasiment intemporelle, à l’exigence beethovénienne.
L’œuvre a une allure très austère, d’autant que les instruments sont traités rigoureusement à égalité, d’une façon peut-être jamais atteinte jusque-là (ni depuis), ce qui rend le discours touffu. Du moins au premier abord. Car si l’on écoute attentivement, on découvre tout un monde musical en fait fort varié, à travers une construction somme toute classique et qui donne des repères perceptibles (par exemple deux thèmes contrastés qui se répondent, se développent et reviennent). C’est typiquement l’œuvre qui ne se livre pas à la première audition, et ne dévoile ses beautés (dont certaines sont littéralement inouïes) que si l’on prend la peine d’y revenir.
Le Quatuor Béla prend Magnard au mot. Il fait de la musique pure, sans concession. Sans aucune référence à l’époque de la composition. Mais en étant attentif à exprimer toutes les richesses de la partition. Ainsi par exemple, dans le dernier mouvement, intitulé « Danses », avec comme indication « Vif, populaire », il fait entendre en profondeur comment Magnard se sert de légères touches de musique populaire (souvent à peine perceptibles) pour construire son discours, hors toute anecdote. (Il est regrettable que les interprètes ne fassent pas la reprise, car cette répétition du début du mouvement a un sens, comme on peut s’en douter de la part d’un tel compositeur.)
À la différence du Quatuor de Magnard, celui de Debussy est aussitôt séduisant, plein d’un charme immédiat. Curieusement, au lieu de le souligner, pour montrer ce qui sépare radicalement les deux compositeurs, le Quatuor Béla interprète ce quatuor de la même façon que celui de Magnard. Est-ce parce que c’est sa marque de fabrique (il a pris comme nom le prénom de Bartok) ? Ou bien est-ce pour montrer que sous le charme « fin de siècle » du Debussy modal vaguement orientalisant il y a aussi une grande œuvre de « musique pure » ? Alors en effet pourquoi pas.

Magnifique prise de son (c’est-à-dire parfaitement naturelle), comme d’habitude au Palais des Dégustateurs (https://lepalaisdesdegustateurs.com/).

H.P.

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