CHOC CLASSICA : BACH – Clavier Bien Tempéré, Livre 1 / Dominique Merlet

BACH – Clavier Bien Tempéré, Livre 1
Dominique Merlet (piano)

CD Palais des Dégustateurs PDD015

Dans le Premier Livre du Clavier tempéré, le maître réécrit les pages didactiques du Cantor de Leipzig. Une copie sans fautes : mention très bien.

En janvier 2016, Dominique Merlet enregistrait à Vosne-Romanée le Second Livre du Clavier bien tempéré (voir Classica n°187). Il y retourna en juillet de l’année suivante pour le Premier Livre. Même lieu, même équipe technique, même piano, semble-t-il : le son n’en est pas moins différent, plus onctueux, plus enveloppant, comme si l’instrument avait été capté de plus près alors que, paradoxalement, l’acoustique du lieu (la Goillotte, un nom familier aux amateurs de grands vins) et sa réverbération discrète se perçoivent davantage. Cet environnement favorable incite à s’installer confortablement pour parcourir cet épais livre en quarante-neuf chapitres : cet enregistrement propose en effet deux versions de la Fugue n°19 en la majeur. Pédagogue recherché et admiré, Dominique Merlet n’appréhende pas ce recueil éminemment didactique en professeur un peu sévère, mais bien au contr aire, en artiste accompli. Ce jeune homme de quatre-vingts ans étonne même par son enthousiasme, sa spontanéité, ses tempos enlevés. Il s’empare ainsi du Prélude n°1 avec une gourmandise impatiente, le geste cursif mais jamais brusque, les doigts déliés, les phrasés souples, le chant prioritaire, malgré une détermination manifeste. La même vigueur anime le Prélude n°2, torrent impétueux de doubles croches qui sort de son lit dans son dernier coude et éclabousse l’auditeur de lumière.

Dominique Merlet a manifestement eu à coeur de se souvenir de Czerny, publiant Le Cla- vecin bien tempéré en 1837 et signalant qu’il avait tâché de « considérer le vrai caractère de chaque composition ». D’une page à l’autre, le pianiste modifie en effet la perspective, l’espace, la couleur sans le moin-dre effet de manche, sans volonté de faire l’original, de se distinguer dans une discographie abondante et riche depuis Edwin Fischer (EMI, 1933-1936) jusqu’à Zhu Xiao-Mei (Mirare, 2007-2009) en passant par Friedrich Gulda (Philips, 1972-1973), Glenn Gould (Sony, 1974) et Evgeni Koroliov (Tacet, 1998-2002). On admire ainsi la plénitude quasi vocale de la foisonnante Fugue n°4, les croches papillonnantes du Prélude n°5, le charme du Prélude n°9, le caractère enjoué du Prélude n°15, la plénitude orchestrale du Prélude n°17 et la dimension cosmique de la Fugue n°24.

CONCENTRATION ET RÉFLEXION

Comme le rappelle Jean-Jacques Eigeldinger dans son texte de présentation, certains couples de prélude et fugue « sont dans un rapport d’opposition […], d’autres dans un lien d’analogie ou de complémentarité ». Cette diversité, Dominique Merlet la restitue dans un jeu concentré et pensé. Mais si la tête reste froide (du moins en apparence), les doigts sont souvent chauffés à blanc et font assaut de virtuosité (Prélude n°7 comme improvisé). Pas pour épater, redisons-le, mais pour approcher au plus près le mystère de cette musique. Autre tour de force, ce toucher qui reste délicat et ce son mordoré et moelleux sans jamais embrumer les lignes. En organiste qu’il est également, l’artiste sait équilibrer les registres pour conserver la lisibilité de la polyphonie (Fugue n°22) et parvenir à une juste intensité expressive sans jamais alourdir les mains : les accords du Prélude n°8, la répétition régulière de groupes de deux notes dans la Fugue n°14, la marche solennelle du Prélude n°24. Cette maîtrise de la partition ne se révèle jamais dans une ascèse sonore (la Fugue n°19 qui semble aller dans tous les sens, les accords brisés du Prélude n°21), une froide radiographie, une articulation artificielle ou une exploitation tapageuse des possibilités du piano. Au contraire, elle surprend souvent par de malicieux sourires (Fugues nos 7 et 9).
Aller à l’essentiel sans prendre des airs de donneur de leçon, être grave sans chausser des semelles de plomb, faire montre de puissance intellectuelle sans jouer au savant : est-ce cela la maturité ?

Philippe Venturini

Critique parue dans le magazine Classica de juillet-aoùt 2018.

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